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Les jeunes face à l’emploi : interview de Julie Couronné de l’INJEP

À la fois, observatoire et centre de ressources et d’expertise sur les questions de jeunesse et les politiques qui lui sont dédiées, l’Institut National pour la Jeunesse et l’Éducation Populaire reste proche des jeunes pour mieux comprendre comment les accompagner. Julie Couronné, Chargée d’études et de recherche « Insertion, accompagnement, entrepreneuriat » à l’INJEP et Docteure en sociologie, nous explique son enquête auprès des jeunes dans la Garantie Jeunes menée avec Marie Loison-Leruste et François Sarfati.

Pour votre enquête « Ce qu’une "sortie positive" de la Garantie jeunes veut dire » vous avez rencontré 60 jeunes dans trois Missions Locales pendant un peu plus d’un an. Quels freins rencontrent-ils face au marché du travail ?

Julie Couronné : "Tout d’abord, ce qu’on entend beaucoup sur les jeunes c’est qu’ils sont feignants et pas assez dynamiques. Les dernières enquêtes que j’ai menées ont cassé d’emblée cette image ! En réalité, la plupart se sont confrontés au marché de l’emploi, ont envoyé des CV et lettres de motivation et parfois se sont même rendus directement chez les employeurs. 

Pour l’ensemble des jeunes, la mobilité est un sujet central, pas uniquement pour ceux concernés par la Garantie Jeunes. Ceux qui ont accès aux transports en commun ou sont titulaires du permis de conduire et propriétaires d’un véhicule accèdent plus facilement à l’emploi. Mais leur situation reste très fragile. Confrontés à une panne, les plus précaires n’ont pas toujours les moyens de faire des réparations. 

Autre frein, la confiance en soi. De manière générale, les jeunes disent eux-mêmes ne pas avoir confiance en eux pour se présenter devant un employeur. Ils racontent également avoir été mis à l’épreuve sur le marché de l’emploi, notamment pour les peu ou pas diplômés. Ils vont relater une expérience très négative. On leur reproche sans cesse d’être trop jeune, de ne pas avoir d’expérience ou leur absence de diplômes. Je pense que c’est vraiment important de rompre avec cette idée de dire qu’ils n’essaient pas. Ils se sont beaucoup confrontés au marché du travail mais ils en ont souvent été rejetés ou exclus. Ils ont été très nombreux à me dire qu’ils ne recevaient jamais de réponse à leur candidature, qu’elle soit positive ou négative.

Une autre difficulté importante également  évoquée, et d’autant plus pendant cette pandémie, est la difficulté d’accès à un employeur. Quand un jeune est dans une formation professionnalisante, il doit trouver un employeur. Et ils sont très nombreux à évoquer ce point comme étant un frein important. Ils réussissent à s’inscrire dans une école ou dans une formation et à suivre des cours mais ensuite cela s’arrête s’ils ne trouvent pas d’employeur. 

 

Et quels sont les leviers d’accompagnement pour accompagner et insérer les jeunes plus durablement ?

Ce que nous avons constaté dans cette enquête c’est l’avantage de posséder un diplôme. La plupart sont des jeunes NEET vulnérables, pas ou peu diplômés mais le fait d’avoir un diplôme même modeste permet de s’en sortir. Pour ceux-là, la Garantie jeunes entraîne une dynamique d'emploi, avec des CDD ou des contrats aidés.

L’accompagnement collectif a toute son importance pour les jeunes de la Garantie Jeunes. Ils trouvent dans un groupe une forme de socialisation par les pairs ainsi qu’un sens du collectif qu’ils ont pu connaître à l’école. Cette prise en charge collective en plus de l’accompagnement individuel est essentielle. 

Nous avons aussi beaucoup étudié l’usage qu’ils font de l’allocation. Pour tous les jeunes que nous avons rencontrés pendant l’enquête, l’allocation était une vraie nécessité. Aucun jeune n’a eu un usage « argent de poche ». Ils ont remboursé leurs dettes ou payé leur permis de conduire ou ont fait face aux besoins de la vie quotidienne. Une bonne partie a également aidé leur famille et participé ainsi à l’équilibre financier du foyer. L’allocation les sécurise en partie et leur permet d’être plus sereins pour chercher un emploi.

Il est essentiel d’agir notamment pour la mobilité et d’accompagner les jeunes pour le permis de conduire qui est, selon moi, un vrai sujet. Non seulement c’est un gouffre financier bien qu’ils touchent des aides financières mais les jeunes expliquent aussi que les procédures sont compliquées et que l’épreuve du permis de conduire les resitue dans une situation scolaire, une situation d’examen qui est difficile à vivre. C’est pourtant un moyen essentiel d’accéder à un emploi.

 

Peut-on déjà savoir quel impact aura la crise sanitaire et économique sur les jeunes ?

Mes recherches ont fait tomber l’idée d’une jeunesse qui n’aurait jamais travaillé ou n’aurait pas fait les efforts nécessaires pour trouver du travail. Cette jeunesse qu’on accusait de propager le virus en n’appliquant pas les gestes barrière, a également travaillé pendant le confinement.

Nous sommes en train d’analyser les effets de la crise sanitaire. Pour l’instant, ce qu’on peut dire c’est que celle-ci est un amplificateur des inégalités sociales. Et pour la jeunesse, il y a une disparité énorme entre les étudiants et ceux qui sont sur le marché du travail, ceux qui ont déjà un emploi ou ceux qui sont encore chez leurs parents, etc.

Il y a des situations précaires, mais il y a aussi ceux qui auront plus de ressources face à cette crise. Ils ne sont pas tous égaux face à l’incertitude en termes d’accès au marché de l’emploi. Il faut vraiment parler du fossé qui va s’instaurer entre les différentes jeunesses et les inégalités sociales qui vont s’accroître, qu’on ne découvre pas, mais que la crise rend de plus en plus marquées et visibles.

Sur une note plus positive, il y a aussi des jeunes qui se révèlent pendant cette crise : j’ai fait à la fin du premier confinement un entretien avec une jeune aide-soignante qui a démarré son activité pendant la pandémie. Elle m’a confié que pour la première fois de sa vie elle se sentait utile pour les autres et pour la société. Elle m’a raconté qu’elle avait beaucoup appris pendant cette période, qu’elle était fatiguée, certes, mais qu’elle se sentait légitime et visible. Ces témoignages-là font aussi partie de la crise chez les jeunes même si cela ne doit pas effacer les précarités de beaucoup d’entre eux. Face à la crise, il y a des perdants et des moins perdants."